Sergei Murasaki, Kosinki, Stalker Sandor, Iterovich et les autres. Par quelque pseudonyme que l'on prenne Marker, il est le premier. Le premier geek, le premier programmeur, celui qui s'est emparé des ordis, des cartes graphiques, des PEEKs et des POKEs, celui qui a croqué la pomme d'Alan (Turing) et celle de Steve (Jobs et Wozniak). Chris Marker programmait en 64k, 128k ou 256k, armé de floppy 5.25, de poésie et d'invention. Il écrivait des lignes et des lignes de code, en langage Basic et sur ses Apple // (e, c, GS), merveilleuses machines des années 1980. Chris Marker, génie de la pensée informatique, inversant cette logique algorithmique, déjouant ces syntaxes digitales et refusant cette figure d'artiste visionnaire : "Laissons cela à Steve Jobs", écrivait-il.
Nous sommes en 2010. Marker évoque "ces temps heureux où l'on pouvait programmer rapidement en Applesoft Basic. Il nous écrit au sujet de son programme IA de dialogue :
"DIALECTOR était une ébauche de programme, interrompu lorsqu'Apple a décidé que programmer était réservé aux professionnels. Il en reste des bribes, probablement incompréhensibles, ainsi qu'un spécimen de dialogue. L'original est quelque part sur des disquettes 5.25 illisibles aujourd'hui. Il est certain que si j'avais pu continuer au rythme de quelques lignes par jour, le programme aurait sans doute une réserve de conversation plus riche, mais c'est ainsi (et si les CD-ROMS... et si... et si... mauvaise façon de penser)."
Ainsi, et plus de deux décennies après cette lente écriture du programme DIALECTOR (1985-1988), ce temps passé à inventer la possibilité d'un double, cette ode à l'immortalité, Chris Marker nous livre son ressenti : "Traduire Applesoft Basic en langage machine d'aujourd'hui est probablement inimaginable : cela aura été une de mes spécialités, de créer dans l'introuvable."
C'est l'histoire d'un homme, ses écrans, ses machines et langages. C'est notre histoire aussi, celle de l'informatique et celle de la pensée : la machine pense-t-elle ? Et ailleurs, l'histoire de ce rêve inachevé des années 1980, cette utopie développée autour de l'intelligence artificielle (IA).
Nous sommes en 2011. Chris Marker nous transfère par voie de mail quelques vieilles pages annotées du programme DIALECTOR, ainsi qu'un spécimen de dialogue. Puis, il retrouve la fameuse floppy 5.25 et nous l'adresse. C'est la version 6 du programme. Le temps passe.
Nous sommes en 2012. Nous trouvons une machine Apple // et son homme et démarrons ensemble ce voyage dans le temps de l'histoire de l'informatique. La floppy est lisible. La version 6 du programme DIALECTOR, elle, ne s'exécute pas et s'arrête à la troisième ligne de commande sur une image de chouette. Après extraction du contenu de la disquette, tous les fichiers du programme DIALECTOR et de sa version 6 sont intacts, plus de vingt années après leur stockage - un miracle dans l'univers impitoyable de l'obsolescence numérique programmée. Nous les éditons au format texte et les adressons le jour même à Marker, comme il le souhaite.
Nous sommes en 2015. Nous avons analysé les lignes de code de Marker et avons transcodé le programme écrit en Applesoft Basic en un langage machine d'aujourd'hui. Le programme DIALECTOR s'exécute sur nos ordinateurs. L'histoire est à présent imaginable. Nous discutons avec le personnage principal du programme qui se nomme COMPUTER. Nous passons des heures entières face à l'écran de l'ordinateur et nos machines et nos pommes. Le programme DIALECTOR est intarissable, doté de l'humour d'un chat anglophone, d'une chouette new-yorkaise, d'un visage passager.
Nous sommes en 1988. DIALECTOR énonce une vision futuriste et amortelle d'une informatique anachronique, livrée à la seule pensée poétique. Chris Marker écrit dans cet essai programmatif un visage futur de la machine, très peu spectaculaire et, en un sens, beaucoup plus terrifiant. Marker (peut-être sans le vouloir) préfigure un modèle du fantasme moderniste qui érige le réseau informatique en un monde matriciel possible, dont tous les éléments sont déjà en place. L'art figé et rudimentaire de la lecture à l'écran est alors dévolu à l'irrésistible ascension de la chouette -muse éternelle du monde selon Chris.
DIALECTOR est un programme informatique développé par Chris Marker en langage Applesoft Basic sur un Apple //.
La version que Chris Marker nous a adressée est la version 6 du programme écrit en 1988.
DIALECTOR 6 est un programme conversationnel qui comporte également des éléments visuels et sonores.
Ce programme est enregistré sur une floppy 5.25 d'origine.
Les versions précédentes, et selon les souvenirs de son ami et ingénieur Paul Lafonta, étaient nettement plus orientées vers un développement multimédia (écran tactile, interactivité...).
Agnès de Cayeux, Andrés Lozano, Annick Rivoire
/////////////////////////////////////////////////////////
History of the Dialector program
Sergei Murasaki, Kosinki, Stalker Sandor, Iterovich… No matter which pseudonym we use to refer to him, Chris Marker was the first‚ the first geek, the first programmer, the one who dove into computers, graphics cards, PEEKs and POKEs, who took a bite out of the apples of Alan (Turing) and Steve (Jobs and Wozniak). Marker programmed in 64k, 128k and 256k, wielding 5.25 floppies, poetry and invention. He wrote lines and lines of Basic code on his Apple // e, c and GS, those marvelous machines of the 1980s. Marker was a genius of computer thinking, inversing algorithmic logic, dodging digital syntax and refusing the label of visionary artist : "Let's leave that to Steve Jobs",he wrote.
It's 2010. Marker recalls "the good old days when you could program quickly in Applesoft Basic." He writes about his artificial intelligence (AI) dialogue program : "DIALECTOR was the sketch of a program that was interrupted when Apple decided that programming should be reserved for professionals. What remains are a few, probably incomprehensible, fragments and a dialogue sample. The original is stored somewhere on 5.25 floppy disks that are unreadable today. I'm sure that if I had been able to continue working on it at a pace of a few lines a day, the program would have had a much richer reserve of conversation, but that's the way it is (and if CD-ROMs... and if... and if... wrong way of thinking)."
So, more than two decades after the slow-paced writing of DIALECTOR (from 1985 to 1988, time spent on inventing the possibility of a double, an ode to immortality), Chris Marker shares his thoughts : "Translating Applesoft Basic into contemporary code is probably unimaginable‚ this could have been one of my specialties : creating within the realm of the unattainable."
This is the story of a man, his screens, his machines and his languages. It is also our story, that of computers and of thought : Do machines think ? And the story of an unrealized dream from the 1980s, a utopia developed out of AI.
It's 2011. Marker e-mails us a few old annotated pages of the DIALECTOR program, as well as a dialogue sample. Then he finds the infamous 5.25 floppy and sends it over. It's version 6 of the program. Time passes.
It's 2012. We manage to track down an Apple // machine and its person. Together we set off on this journey into the history of computer programming. The floppy is readable. Version 6 of DIALECTOR, however, won't execute and stops at the third command line, on the image of an owl. We extract the contents of the disk and discover that all the DIALECTOR files and version 6 of the program are intact, more than 20 years after they were saved‚ a miracle in the merciless world of programmed digital obsolescence. We convert them to text format and return them to Marker the same day, as requested.
It's 2015. We have analyzed Marker's lines of code and translated the program originally written in Applesoft Basic into a contemporary programming language. DIALECTOR runs on our computers. History is now imaginable. We converse with the program's protagonist, whose name is COMPUTER. We spend hours in front of the computer screen, our machines and our apples. DIALECTOR is inexhaustible, with the humor of an English-speaking cat, a New York owl and a passing face.
It's 1988. DIALECTOR suggests the futuristic and a-mortal vision of an anachronistic computer science dedicated entirely to poetic thought. In his stab at programming, Marker wrote the future face of machines: not very spectacular and, in a way, much more terrifying. He (perhaps unintentionally) predated a model of modernist fantasy that elevates the computer network to a possible matrix world, whose elements are already in place. The static, rudimentary art of reading on screen is now devoted to the irresistible ascension of the owl‚ eternal muse of the world according to Chris.
DIALECTOR is a computer program developed by Chris Marker in Applesoft Basic on an Apple //
The version that Chris Marker sent us is version 6 of the program, written in 1988.
DIALECTOR 6 is a conversational program that also contains visual and audio elements.
The program was originally saved on a 5.25-inch floppy disk.
According to Marker's friend and engineer Paul Lafonta, previous versions were clearly geared toward multimedia development (touch screen, interactivity, etc).
Agnès de Cayeux, Andrès Lozano, Annick Rivoire
|